La stupeur écarquille les prunelles de la jeune femme. Quelques secondes lui sont nécessaires pour qu’elle se ressaisisse et en réponse à son remerciement, Aimable s’incline légèrement.

_ Je n’ai fait que mon devoir, Mademoiselle, répond-t-il avec son humilité habituelle. S’il avait su qu’Emilien avait pris sa défense, il lui aurait adressé un regard empli de reconnaissance… Elle relâche craintivement la main d’Emilien, avant d’élever les yeux vers la cérémonie.

Conservant précieusement le présent de la jeune femme contre lui, l’entourant d’un bras pour le protéger, Aimable lève à son tour les yeux vers Constantin. Un mariage entre deux femmes... Qui l’aurait crû ? La vision est quelque peu déstabilisante, mais le discours de son ami le rappelle à une réalité rassurante. La promesse d’une union sous la bienveillance du Seigneur.

Aimable récupère la croix d’argent qu’il garde autour du cou pour y refermer sa main. Ses yeux clairs se ferment alors qu’il prie. Prie pour que Dieu offre sa protection à ce couple. Les paroles de Constantin lui rappellent son propre mariage.

Il n’avait que 17 ans, elle, 18. C’était au solstice d’été. Il se souvient tenir sa main alors qu’ils sortaient de la chapelle, accompagnés par les cris de joie de leurs familles réunies. Le vent frais sur sa peau, les odeurs du banquet, cette main tendrement nouée à la sienne. Le soleil gorgé de lumière les inondait d’or, un or qui se reflétait dans ses mèches rubicondes, éclatait dans ses prunelles, son sourire qui l’éblouissait. Eleanor avait été si heureuse, le jour de leur mariage. Si heureuse de lui tenir la main.

Qui aurait crû qu’un homme comme lui mériterait un tel amour ?

D’une femme qui l’avait aimé au premier regard et qui lui avait appris à aimer, lui aussi.

Aimable sourit, alors qu’une douce chaleur emplit sa cage thoracique. Ses traits se relâchent. Quelques secondes, ses prunelles ne sont plus d’acier ; elles sont un océan bucolique où ses souvenirs heureux se reflètent, éclats de sourire tapis sous ses cils.

L’Ouroboros gronde, au loin, les rumeurs de vagues auxquelles il ne prête plus attention, habitué à leur présence constante lorsqu’il pense. La Voix est toujours là, ombre de ses lumières, bien que le jour de son mariage, elle se soit tapie au fond de sa tête – lui susurrant des pensées hérétiques. MoRRDS LA.

Aimable chasse ce souvenir d’un battement de paupières et une fois sa prière terminée, relâche sa croix qu’il glisse sous son haut en adressant un regard amusé à Emilien.

_ Ce n’était pas obligatoire, mais il s’agissait d’un geste de sympathie et de respect envers les mariés et la Reine. Tu travailles pour la famille De Bayard, si tu le souhaites, tu peux avoir participé aux présents que nous avons offerts.

Son regard clair s’oriente vers Françoise, vers laquelle il incline légèrement la tête.

_ Quand souhaitez-vous offrir votre présent, Mademoiselle ?