Elle avait entendu l’appel de cette pauvre baronne inquiète par les violentes disputes de ses deux fils. Ah quelle histoire, jamais Naïs n’avait connu cela étant une orpheline ! Peut-être qu’elle aurait un œil neuf sur cette affaire ? En tout cas, l’Église souterraine n’avait pas vu d’objection à ce qu’elle s’engage à démêler cette affaire, car au passage, peut-être qu’elle grappillerait des informations intéressantes ? Et des sous pour finir son mois plus facilement ?

Un brave marchand la voyant seule sur le chemin direction Saint-Ouen avait eu la gentillesse de lui proposer de s’asseoir à l’arrière de sa charrette pour lui éviter de s’épuiser.

- Trop sympa Monsieur le marchand, par contre j’ai pas une seule pièce pour vous, mais plein de clin d’œil en réserve si vous voulez.

Il n’en avait pas fallut plus pour que tous les deux trouvent un accord. Durant le voyage, ils avaient un peu conversé et chacun avait parlé de son métier. Arrivés à Saint-Ouen, elle le remercia d’un bisou sur la joue et le marchand était ravi. Elle ne mis pas longtemps à repérer la demeure de la baronne et quand bien même l’idée d’aller faire un petit tour avant pour, à tout hasard, tomber sur une fête de village, par exemple, lui avait traversé l’esprit… Néanmoins elle se résigna, pour le moment, à être assez sérieuse et ainsi elle se présenta devant la porte d’entrée de la demeure.

Surprise ! La baronne en personne lui ouvre la porte, ce qui est plutôt surprenant. Mais admettons. La brune la suit et l'idée d'un bon verre de vin et bien... Mission ou non, elle ne crachera pas dessus !

- Merci Madame, c'est fort aimable. Mais n'en faites pas trop, vous avez l'air bien rongée par cette histoire.

Elle obéit à la baronne et s'assit sur un fauteuil. Bien douillet sous ses petites fesses après le voyage en charette sur les routes chaotiques, c'était bien agréable !

S'étonnant qu'elle lui propose d'elle-même de la servir, la sorcière lui demanda :

- Vos domestiques ne vous prêtent pas main forte ?

La gêne de la baronne était palpable. Athénaïs s'en voulut presque d'avoir dit le fond de sa pensée sans réfléchir. Elle souhaita passer sur le sujet en sirotant le verre de vin proposé par la jeune femme mais elle grimaça et commenta à voix basse.

- Wow, il tabasse le picrate...

Là où il passait, les germes trépassaient ! Très vite elle abandonna l'idée d'y retourner et s'adressa à la baronne.

- Pouvez-vous me dire tout ce que jugerez utile pour vous aider, Madame ?

Pauvre baronne, non seulement elle avait perdu son époux, mais également ses deux fils, déchirés par cette histoire d'héritage et de titre. La sage-femme lui donna une petite moue compatissante, mais la baronne n'osait pas la regarder durant ces révélations.

Tiens tiens tiens... Le deuxième fils, en quittant la demeure, se serait muni d'une bête sauvage selon les dires d'un des domestiques ayant accepté de parler... Intéressant.

- Avez-vous toujours des contacts avec la domestique vous ayant parlé de cette bête sauvage ? Pensez-vous qu'il me serait possible de la rencontrer ?

Marquant une pause, elle fit preuve de compassion.

- Je vais vous aider, Madame. Je prends le relais alors vous devriez vous reposer un peu. Les histoires de famille, c'est jamais une sinécure !

Qu'en savait-elle alors qu'elle n'avait même pas de famille ? Rien du tout, mais elle adorait cette expression et voulait la caser un jour dans sa vie !

Ce qui s'apparentait à sa meilleure piste semblait disparaître. La sorcière croisa ses bras songeuse et elle tapota du bout de son gant son menton en signe de réflexion.

- Pensez-vous que l'un des domestiques restés à votre service pourraient m'en dire plus ?

Elle songea également à son fils, celui qui n'était pas en possession de la bête sauvage, l'héritier désigné.

- Votre aîné a-t-il toujours des contacts avec son frère, autres que des disputes ? En sait-il plus au sujet du revirement de situation de son frère ? Paraît-il qu'entre jumeaux il n'y a pas de secret...

Alors qu'elle allait tout naturellement lui demander s'il était possible d'aller à la rencontre de son aîné, ou bien d'attendre qu'il accepte de la rejoindre dans ce salon, la baronne lui démontra qu'elle était à bout de force. Par réflexe, la sage-femme se leva d'un bond et abandonna le verre de vin qu'elle n'avait pas su apprécier. Elle se précipita vers la femme qui s'était écroulée dans son fauteuil, incapable de tenir debout.

- Madame ! S'exclama-t-elle, se permettant de réduire la distance et même de s'asseoir à ses côtés. Et puis au diable les manières, elle avait un pied dans la médecine et avait étudié ses mentors à de nombreuses reprises par le passé. Elle attrapa rapidement l'un de ses poignet et constata que son souffle n'était pas le seul à s'emballer. Ouh lala, ne bougez plus Madame... Elle éloigna son buste pour ne pas lui crier dans les oreilles. Un médecin pour la baronne ! Puis elle se rapprocha d'elle, surprise par la tournure de leur entrevue. Ne laissez pas cette histoire autant vous affecter, je suis sûre que nous trouverons une solution. Vous avez traversé bien des épreuves, mais pour vos fils, vous devez être forte. Et pour cela, il faut passer par le repos !

Son appel à l'aide lancé, elle voit débarquer un homme et pas de doute sur son identité : il s'agit de son fils aîné. Alerté par l'état de santé de sa mère, il la porte pour l'emmener dans une autre pièce attenante et la domestique s'en mêle également. Athénaïs avait l'impression d'être un pot de fleurs dans cette histoire.

La servante s'en alla quérir le médecin le plus proche, tandis qu'elle découvrit qu'elle n'était pas un pot de fleurs, mais la nouvelle cuisinière. Un peu fâchée par cette remarque, elle posa les poings sur ses hanches.

- Oh bah je vous remercie, je suis sage-femme Messire ! Bouder longtemps ne fera pas avancer la cause de la baronne. Je suis venue répondre à la demande de Madame votre mère afin d'essayer de mettre fin aux démêlés avec votre frère. La pauvre baronne a une santé bien fragilisé par toute cette histoire !

Sa pupille fut attirée par la jolie pierre ornant son jabot. Il avait du goût, est-ce qu'il était célibataire ?

Athénaïs le laissa le mener jusqu'à son bureau, sans doute pour ne pas perturber le sommeil de sa mère enfin apaisée. Il n'avait plus qu'une domestique et elle était partie chercher le médecin, ce n'était donc certainement pas une mesure pour garder un quelconque secret.

Succinctement, la sage-femme lui raconta tout ce qu'elle avait retenu de la bouche de la baronne.

- Madame m'a expliqué que vous avez été désigné comme l'héritier du baron et que cela n'a posé souci qu'à son décès. Votre frère aurait exigé le titre et vos échanges ne se seraient pas limités aux mots. La colère aurait poussé votre frère a quitté le domicile familiale, effrayant la plupart de vos domestiques. Elle m'a également confié qu'il se serait hm... disons... muni d'une bête sauvage.

Est-ce qu'il lui en dirait plus sur la bête sauvage ? Sur son frère ? Sur la santé de sa mère ? En tout cas, Athénaïs était bien décidée à en savoir plus. Elle n'avait pas fait le chemin en charrette pour rien !

La sage-femme plissa les yeux, un peu déçue du contenu de la réponse de l'héritier du baron.

- Votre frère ne s'est jamais confié à vous ? Vous n'avez aucune idée de la raison pour son retournement de situation ?

C'était assez pauvre en piste et l'homme semblait ne pas pouvoir lui indiquer grand-chose pour lui donner des pistes. La meilleure piste était celle de la domestique ayant révélé l'existence d'une bête sauvage au côté de l'autre fils...

- Apparemment, votre mère aurait été mise au courant pour "la bête sauvage" par l'un de vos anciens domestiques... Cette personne aurait quitté la région, ou quelque chose du genre... Je suppose que je n'en tirerai rien... Alors peut-être pouvez me dire où se trouve votre frère et ainsi voir si je peux entamer un dialogue pour vous ?

La piste du canular n'était certes pas à exclure, après tout, avec des mots on peut colporter n'importe quelle histoire. Néanmoins, la baronne n'avait-elle pas mentionné que quasiment tous les autres domestiques avaient fuit, effrayés par son fils ?

- C'est peut-être une mauvaise blague, mais alors pourquoi les autres domestiques ont pris la fuite ? Madame la baronne a mentionné qu'ils ont eu peur de votre frère...

En tout cas, bête ou pas bête, la sorcière ne ressentait aucune crainte à aller découvrir d'elle-même la véracité des propos de la fameuse servante.

- Quand avez-vous vu votre frère pour la dernière fois ?

La taverne, aussi honteuse qu'elle soit selon Théodose, était un nouveau point de départ pour tenter d'avancer. Elle pourrait très bien ne rien tirer d'Elliot s'il était déjà trop alcoolisé, tout comme cela pourrait délier les langues et comprendre cette affaire d'héritage.

- Je vous remercie d'avoir répondu à mes questions. Je vais essayer de rendre visite à votre frère. Je souhaite à la baronne un prompt rétablissement.

Une fois seule à l'extérieur de la demeure, Athénaïs céda à sa première pulsion, c'est-à-dire ne pas tout de suite se rendre à la taverne. Si selon les dires de son frère Elliot y passait beaucoup de temps, elle devrait facilement tomber sur lui. L'envie de se dégourdir les jambes et de rencontrer un peu les villageois se faisait ressentir. Et puis, qui sait, elle pourrait évoquer l'histoire houleuse des jumeaux et grapilleraient peut-être quelques informations ou témoignages au sujet de cette bête sauvage ?

Elle commença par faire un tour au village.