Stanislava s'était rendue à la taverne de l'Etalon fendu.

D'après la missive, les matelots se refusaient de travailler, voulant à tout prix éviter une bête qui traînerai sur les docks. S'ils n'étaient donc pas sur les docks, ils ne pouvaient que se trouver à un seul endroit : la taverne. Pour le capitaine émetteur de la demande, ce n'était rien de plus qu'une broutille, probablement un chien errant.

Mais est-ce qu'un chien errant était réellement capable d'instiller une ambiance aussi étouffante? Stanislava avait rarement peur. Mais elle mentirait si elle disait être totalement à l'aise. Il y avait bien quelque chose qui se tramait et elle était là pour découvrir le fin mot de l'histoire.

Alors sans cérémonie, elle s'était dirigée vers la taverne, là où beaucoup d'informations circulaient en général, et ignorant superbement les regards sur elle--sa cicatrice, sa chevelure de feu attirent facilement les regards-- elle se dirigea vers le comptoir et s'adressa au tenancier.

-Bonjour, je cherche le capitaine-gérant Sébastien Filin. Savez-vous où je pourrais le trouver ? Je viens à propos de la bête.


Inutile de tourner autour du pot, Stanislava n'avait pas pour projet de rester une éternité dans ce port.

-Navré de vous décevoir, mon capitaine. Estimez-vous heureux qu'une femme daigne s'intéresser à votre affaire.

Stanislava avait ignoré le fait qu'elle avait jeté un froid dans la taverne dès l'instant où elle avait prononcé le mot bête. Mais elle ne pouvait décemment pas ignorer l'homme, le fameux capitaine, qui s'était approché d'elle. Pendant une seconde peut-être, elle s'était figée, son cerveau avait cessé de fonctionner. Et puis son mécanisme de défense était revenu au galop, la faisant cracher du sarcasme pour seule réponse.

Charles est mort. Ce n'est pas lui. Rentre toi ça dans le crâne ma grande.

Son regard se détourna l'espace d'un instant, jeta un bref regard circulaire avant de poser à nouveau son regard émeraude sur le bl- le brun! Mauvais plan. Mais si Stanislava voulait terminer cette mission, elle devait faire fi de… de cette ressemblance troublante.

-Je m'appelle Stanislava. Où pouvons-nous discuter de cette histoire plus tranquillement.

Stanislava ne prit pas la peine de se retourner pour confirmer ses dires mais elle sentit bien évidemment les regards sur sa personne. Ses mots l'interpellèrent. Un endroit abandonné? Il n'y avait donc rien d'étonnant à ce qu'une "bête" prenne pour cible un endroit isolé.

Une fois hors de la taverne, elle répondit en toute franchise au capitaine.

-Pas grand chose. Que les marins refusaient de travailler à cause de cette bête, qu'elle aurait laissé quelques traces et rien d'autre.

Avançant sur les docks, Stanislava observa les alentours, détaillant les quelques bateaux flottant sur la mer placide, se rappelant ses rares années vivant en bord de mer. Mais l'heure n'était pas aux réminiscences. La rousse entama sa série de questions. Se concentrer lui permit d'oublier momentanément son moment d'émoi dans la taverne.

-Depuis combien de temps cette bête rôde? Quelqu'un l'a-t-elle réellement vu? Pourrait-elle me donner une description?

Elle se tourna finalement vers le capitaine et croisa les bras sur sa poitrine, plantant son regard dans le sien. Elle était un peu plus dans son élément de mercenaire désormais et retrouvait son assurance.

-Ce qui m'intrigue c'est qu'aucune victime n'a été signalée. Vous n'avez pas trouvé de mort? Personne n'a disparu depuis?

Elle fit une courte pause avant de reprendre.

-Avez-vous entendu des bruits étranges ces dernières nuits?

Voilà deux mois qu'ils avaient ce problème et personne n'avait eu la décence de les aider. Ou eux-même ne faisaient pas grand-chose pour se sortir de ce pétrin. Mais Stanislava ne pouvait pas entièrement les blâmer. Après tout, toutes personnes normalement constituées n'iraient pas aller chercher des ennuis à une bête. Et n'étant pas "normalement constitué", la vampire faisait fi du potentiel danger qui pourrait s'y cacher. Elle avait vu bien des choses dans sa vie, et même si elle était persuadée que plus rien ne l'étonnerait, au fond d'elle, elle savait que c'était toujours possible.

Le capitaine pensait qu'il ne s'agissait que d'un simple chien errant, qui serait tombé malade. Si c'était vraiment le cas, un chien malade serait-il vraiment capable d'attaquer sauvagement des moutons? Ne devrait-il pas être affaibli? Et puis si cela faisait déjà deux mois, s'il était vraiment malade et que personne n'en prenait, il aurait du clamser depuis le temps, non?

-J'aimerais voir les dépouilles de mouton, si c'est encore possible.

En fonction des morsures et des griffures, la vampire pourrait sûrement se faire une idée du gabarit de la fameuse bête.

Stanislava suivit le capitaine en silence, tout en gardant un œil sur les alentours. Dans l'étable, elle ne fit pas grand cas de figure de l'homme ne la saluant, mais elle retint une grimace quand une faible odeur nauséabonde parvint à ses narines. Odeur qui s'amplifia lorsque Sébastien ouvrit le tonneau qui recracha les chairs et les os de l'animal déchiqueté. Sourcils froncés, retenant à peine cette fois-ci une grimace, elle imita le capitaine mais s'habitua à l'odeur très vite et s'accroupit pour examiner la dépouille de plus près.

Un chien malade ne ferait pas un tel carnage. La vinasse n'y est peut-être pour rien dans cette histoire.

Une rapide inspection ne lui donna que quelques hypothèses et Stanislava avait encore beaucoup de questions.

-Les moutons qui sont morts… Les avez-vous retrouvé les lendemain de pleines lunes?

La question était risquée, puisque rien ne lui indiquait s'il était au courant ou pas de l'existence des lycans, ou même des vampires.

Des attaques irrégulières. Quelque chose qui ne présageait rien de bon. La possibilité d'être face à un lycan venait de se réduire mais pas totalement. La bête ne s'attaquait pas aux humains et prenait soin - du moins, Stanislava avait cette impression - de les éviter. Il ne voulait pas se faire repérer. Mais pendant combien de temps tiendrait-il?

La vampire fronça les sourcils en écoutant les murmures du capitaine.

Sérieusement?

-Vous devriez être plus regardant, à en juger par la situation, lâcha-t-elle en plantant son regard dans le sien. Qui sait ce que vous avez ramené. Lorsqu'il n'y aura plus de moutons, à votre avis, qui seront les prochaines victimes de cette "bête"?

Un soupir agacé s'échappa de ses lèvres et planta ses mains sur ses hanches, un air désapprobateur sur le visage.

-Puis-je espérer que vous ayez une liste des bateaux dont vous parlez, remontant à deux mois? Et avez-vous des personnes connaissant bien la forêt, ou même de bons chasseurs?

Elle ne pouvait pas être partout à la fois, malheureusement, et elle devait faire avec les moyens du bord.

Stanislava ne pouvait le réfuter sur ce point. Elle avait également fait des choses peu recommandables pour s'en sortir et elle avait tendance à vivre au jour le jour.

-C'est mieux que rien, je suppose, souffla-t-elle en observant les flammes danser.

Un vieux souvenir refit surface et elle détacha son regard promptement du feu avant de s'éloigner pour quitter l'étable et d'observer le bâtiment en question, puis se tourna à nouveau vers le capitaine Filin.

-J'aimerais passer dans la forêt avant que la nuit ne tombe. Sera-t-il possible de consulter rapidement les registres lorsque je reviendrai?

Pinçant les lèvres, elle regarda le capitaine de la tête au pied, le jaugeant et jugeant d'un regard neutre.

-Avez-vous d'autres obligations ou puis-je me permettre de vous réquisitionner pour m'accompagner?

Elle ne pouvait pas être partout à la fois, malheureusement, et elle devait faire avec les moyens du bord.

-Je prendrai un cheval.

Stanislava avait toujours eu cette étrange affinité avec les équidés depuis toute petite et appréciait parfois plus leurs compagnies que celle des humains - voir des gens en général. Lorsqu'elle approcha de l'un de ses animaux majestueux, elle opta pour celui a la robe sombre, le laissant renifler sa main avant de lui offrir quelques caresses. Elle vérifia l'attirail de son futur destrier temporaire et une fois assurée que tout était en place, elle se hissa avec aisance et prit les rênes pour approcher son cheval de Sébastien.

-Je vous laisse ouvrir la marche.

Elle passa une main dans le dos, vérifiant par la même occasion que ces propres affaires étaient bien en place et prêts à l'emploi à tout moment.

Désormais à cheval - ma foi fort docile - Stanislava suivit Sébastien jusqu'à l'orée de la forêt, continuant son observation des alentours. Plongée dans ses pensées, ce fut la voix du capitaine qui la sortit de sa torpeur. Et sa question lui arracha un discret sourire narquois.


-Je ne suis pas mariée. Et vous? Êtes-vous de ce qui sont mariées à la mer ou quelque chose du genre?

La vampire avait abandonné l'idée de vivre une quelconque idylle amoureuse, et ne se voyait absolument pas fonder une famille avec qui que ce soit, quand bien même elle avait une éternité devant elle. Son mode de vie actuel n'était pas le meilleur qui soit mais elle n'était pas la plus à plaindre.

Stanislava observa Sébastien en silence alors qu'il prenait les devants mais tous ses sens étaient en alerte alors qu'ils s'enfoncent de plus en plus dans la forêt. Elle tendit l'oreille, resta à l'affût du moindre mouvement suspect, à la moindre odeur étrange.

-J'ai cru comprendre, oui, répondit-elle distraitement.

Jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, d'une main elle prit les rênes tandis que l'autre vint se loger sous sa cape, le bout des doigts sur le manche de sa dague.

-J'en ai vu des choses, en effet, ajouta-t-elle sur un ton plus léger. Je suis comme vous, en quelque sorte. L'aventure m'attire plus.

Lèvres pincées, elle souffla doucement par les narines alors que sa cicatrice à l'œil gauche commençait à la démanger. Elle en avait vu des vertes et des pas mures, principalement, durant sa très longue vie, mais cela, elle se garda bien de le lui annoncer.

J'espère ne pas avoir à les raconter un jour.

Ces histoires n'avaient rien de romanesques ou de chevaleresques. Ces histoires lui donnaient même des cauchemars parfois, la nuit ou le jour. Quand elle fermait les yeux, quand elle essayait de se reposer, immanquablement, ses démons revenaient pour la hanter.

-Par ici.

Stanislava choisit le chemin de droite. Elle descendit de son destrier, prenant la tête et l'attacha à un arbre et dégaina son épée de la main droite, et tint fermement sa dague de la main gauche. Par des gestes précis, elle commença à couper les herbes hautes, et les buissons, contourna les ronces, dessinant petite à petite à chemin plus praticable. Il lui arrivait de temps en temps de s'arrêter, de tendre l'oreille, s'assurant que rien n'avait pas vraiment perturber le silence de la forêt.

-Au sujet de vos affaires clandestines… Parlez-moi de ces bêtes venues d'autres continents.