Sa main s'était posée automatiquement sur la garde de son épée lorsque un cri venant de l'extérieur leur parvint. Une panique générale s'empara des marins. Stanislava jura entre ses dents. C'était bien sa veine! Alors qu'elle allait voir enfin une réponse, voilà qu'on l'interrompait. Ça lui apprendra ! Elle quitta la taverne et se précipita vers le capitaine et le petit garçon. Son regard glissa vers le bois qu'il indiqua, désormais bien sombre et lugubre en cette heure de la nuit avancée.

Quelle genre de bête s'en prenait aux chiens?

Pas le temps de tergiverser. Stanislava devait agir et vite! C'était son unique chance. Qui sait quand la bête réapparaîtra? Elle s'empara de la torse encore allumée et s'adressa à Sébastien.

-Avec vos hommes, préparez le plus grand filet de pêche que vous avez. Je vais essayer de l'attirer jusqu'ici. Si vous avez des armes, des épées, des fourches, n'importe quoi, préparez-vous!

La vampire préférait travailler en solitaire, mais face à l'inconnue elle n'avait pas trop le choix que de demander de l'aide.

-Vous voulez vous débarrasser de cette bête, oui ou non?! ALORS BOUGEZ-VOUS!

Sans même s'assurer qu'ils l'écoutaient, la torche toujours en main, son épée dégainée dans l'autre, elle courut à toute vitesse jusque vers la forêt qu'elle avait exploré un peu plus tôt. Elle se stoppa net à la bifurcation, manquant de la rater de peu. Et plutôt que de prendre l'un des deux chemins, sens aux aguets, elle fouilla son petit sac en cuir et en ressortit le dessous maculé de sang frais qu'elle jeta au sol. Et puis genoux légèrement fléchies, arme au poing, elle commença la traque.

Sa condition de vampire faisait que son cœur battait faiblement. Les battements étaient bien plus lents que celui des mortels ou même des lycans. Et pourtant, en cet instant précis, alors que la forêt était effroyablement silencieuse autour d'elle, Stanislava sentait son cœur battre à tout rompre dans sa cage thoracique. La peur. La peur de l'inconnue, de ne pas savoir ce qu'elle allait affronter. Ah! Cette peur-là n'était-elle pas une preuve qu'elle n'était pas noble? Le moment n'était pas à la plaisanterie mais elle ne put s'empêcher de lâcher un faible rire nerveux.

La peur est pour les faibles.

Sa voix rauque, légèrement caverneuse résonne à ses oreilles. Dans cette forêt sombre, en proie à la peur, Stanislava avait l'impression d'être à nouveau une adolescente de 15 ans, apprenant tout juste à manier l'arc et l'épée. Si elle se laissait se perdre, elle pouvait sans mal sentir sa grande main rugueuse lui redresser le dos, réajuster sa position.

Dès l'instant où ton ennemi sentira ta peur, il en profitera pour s'immiscer dans la moindre de tes faiblesses.

Stanislava déglutit et sursauta lorsqu'elle entendit le faible jappement du chien. Elle avait aucune peine à voir les similitudes avec la morsure du mouton. Pauvre bête. Ses chances de survivre à une telle blessure étaient minces.

La peur est la même pour tous. Chevaliers, nobles, paysans…  La seule différence est comment tu vas la surmonter.

Elle inspira. Expira. Ne trembla pas lorsque le hurlement de la bête résonna entre le arbres, s'enfonça dans la pénombre. Sa main réaffirma sa prise sur son arme et finalement, elle se décida à marcher vers le canidé. A genoux, près de l'animal, elle posa sa main sur sa plaie béante, empourprant son gant de cuir. Si elle l'emportait avec elle, il risquait de la ralentir et rien ne lui garantissait qu'il survivrait à cette blessure.

Grognant de son dilemme intérieur, Stanislava fit son choix: elle retira sa veste et effectua un bandage de fortune pour tenter de stopper l'hémorragie avant de le soulever et de le serrer contre elle, du sang coulant sur ses vêtements, une fleur pourpre naissant sur sa poitrine. Il ne lui restait plus qu'à revenir sur ses pas et à exécuter son plan.

Rebroussant chemin, Stanislava vit les traces, l'absence du dessous qu'elle avait laissé. Puis elle l'entendit. Près d'elle. Le chien dans ses bras couina faiblement et peina à s'agiter. Et elle vit enfin sa silhouette, tapie derrière des buissons, prête à lui bondir dessus. En plissant les yeux, elle crut distinguer une queue. Plutôt longue. Bon sang, qu'était donc cette chose?!

Ne tourne pas le dos à l'ennemi.

Si elle se mettait à courir, aucun doute que la bête allait lui sauter dessus. Maintenant qu'elle avait posé ses yeux sur elle, aucun doute qu'elle n'allait pas la lâcher d'une semelle. Stanislava était devenue la proie.

Parfait.

Elle retira son gant imbibé du sang du chien avec ses dents et la jeta en direction de la bête, espérant la distraire une poignée de secondes. Usant de ce court laps de temps, elle en profita pour cacher le chien dans un buisson un peu plus loin, puis revint sur le petit sentier, dague en main. Sans broncher, de sa dague, elle fit une légère incision sur sa joue droite et une autre sur le haut de son bras droit, laissant le liquide carmin imprégné à nouveau ses vêtements. Lorsque la silhouette de la bête réapparut, elle frappa du sol avec la pointe de son épée pour attirer son attention.

-Hey ! Par ici !

L'épée dans sa main droite, la dague dans l'autre, la vampire attendit que la bête soit entièrement focalisée sur elle avant de prendre la fuite pour se diriger vers le port, transgressant une règle primordiale, espérant que le capitaine et les marins n'étaient pas rentrés chez eux, la queue entre les jambes.

Stanislava jura entre ses dents en constatant avec dépit que la bête n'était plus là. J'aurai du foncer dans le tas. Elle soupira pour la énième fois de la journée alors qu'elle essuya du revers de la main le sang sur sa joue. Même si la bête n'était plus, elle garda ses armes à la main tout en se redirigeant vers le chien qu'elle avait délaissé. Le soulevant délicatement, elle fit quelques pas pour quitter la forêt, elle se stoppa dans sa course en prenant conscience de quelque chose. Lorsqu'elle était entrée dans la forêt, il n'y avait pas âme qui vive. Pas un son. Avec tout le boucan qu'ils avaient fait, aucune petite proie ne serait restée dans les parages, surtout avec une chose pareille trainant dans le coin.

Alors quoi? Quelle était donc ce cri d'oiseau? Elle qui se vantait d'avoir une bonne connaissance de la forêt, elle ne reconnaissait pas celui-là. Le chant de l'oiseau s'était fait entendre avant que la bête ne disparaisse. Et si elle était réellement affamée, elle l'aurait poursuivi. Elle n'aurait pas quitté les lieux ainsi, sans même tenter quoi que ce soit, même sur le chien blessé.

Sauf si on le lui ordonne.

Un frisson lui parcourut l'échine et Stanislava pressa le pas et quitta la forêt, pour revenir vers le port. Elle devait montrer un bien piètre spectacle, ses vêtements tachés de sang, la majeure partie n'étant pas la sienne.

Encore irritée d'avoir laissé la bête filée, Stanislava répondit plutôt sèchement aux inquiétudes du capitaine, sa langue claquant contre son palais sous l'énervement.

-Je vais bien, souffla-t-elle entre ses dents. J'aimerais en dire autant pour lui…

Elle baissa ses yeux sur le petit chien dans ses bras. L'animal avait perdu pas mal de sang depuis. Avec toute la délicatesse dont elle était capable, elle confia l'animal au capitaine.

-J'espère que vous avez un médecin ici capable de recoudre les blessures. Ce serait sa seule chance de survie. Pour ce qui est de la bête…

La vampire se tut, essayant de se rappeler au mieux le peu qu'elle avait vu dans les bois. Son hurlement, ses grognements résonnaient encore dans ses oreilles. Mais pour ce qui est de son apparence, elle devait bien l'avouer, elle n'avait pas vu grand-chose. Inutile de leur mentir donc.

-Il faisait trop sombre, je n'ai pas réussi à la voir correctement.

Si j'avais foncé dedans…

Non, si elle avait foncé dedans, qui sait si elle serait encore debout en ce moment. Tant qu'elle était encore debout, elle avait encore une chance de l'attraper. Mais comment ? Si la bête écoutait les ordres de quelqu'un, elle ne devait pas être allée très loin n'est-ce pas ? Mais qui contrôlerait une bête pareille? Et pourquoi ? Ces attaques avaient fini par attirer l'attention. Maintenant que la bête se savait traquer, il y avait de grandes chances qu'elle essaie de s'enfuir. Et donc terroriser un autre village sans défense.

Réfléchis, Stanislava. Réfléchis!

À tourner en boucle encore et encore ses questions, la jeune femme avait fini par plaquer ses mains ensanglantées sur son visage, dans une tentative vaine de se concentrer, offrant un étrange spectacle aux marins. Elle laissa échapper un grognement étouffé contre ses paumes avant de dégager son visage.

-Le temps presse mais j'aimerais tout de même continuer notre conversation dans la caverne pour confirmer certaines choses, reprit-elle en se tournant vers les matelots. Essayez de me donner le plus de détails possibles. Pas seulement sur son apparence mais les bruits que vous aviez pu entendre.

Ce bruit d'oiseau n'avait rien de naturel, elle en était sûre. Maintenant…

-Et j'aurai besoin d'une nouvelle chemise avant d'y retourner, soupira-t-elle en voyant l'état déplorable de son vêtement, imprégné en grande partie du sang du chien.

-Ca ira, merci.

Sans faire grand cas de figure, Stanislava se délesta de sa chemine, essuya du mieux qu'elle le put le sang sur son visage avec une partie de son vêtement encore intact, et enfila la nouvelle, remontant les manches jusqu'à ses coudes, laissant à la vue de tous ses cicatrices sur ses bras. Si la chemise glissait légèrement de son épaule, on pouvait voir l'ombre d'une autre cicatrice, des griffures allaient jusque sous son omoplate.

Rapide avec une bonne détente? Comme elle, il n'avait pas pu distinguer correctement la bête. Pas plus haut que ses hanches. La vampire essaya de recouper avec ses propres informations. Même si la bête n'était pas très trapue, sa vitesse était tout de même gênante. Ça allait donc être une compétition de vitesse et d'agilité.

-C'est bien le problème. Je ne sais pas quoi en penser… Dans la forêt, j'ai entendu son cri et… je n'avais jamais entendu une chose pareille. Pas étonnant que vos marins refusent de travailler à nouveau avec un monstre comme ça dans le coin.

Elle se tut quelques secondes, scrutant longuement le visage de Sébastien, sourcils froncés.

-Le mouton que vous m'avez montré… quand a-t-il été attaquée? Ce qui me dérange c'est que la bête soit partie sans même essayer de m'attaquer ou de me poursuivre ou même de s'en prendre à nouveau au chien. Si elle était réellement affamée, elle aurait essayé quelque chose.

C'était peut-être sa présence qui l'en avait dissuadé. Il avait l'air d'éviter les humains, après tout.

-Le petit garçon… vous pensez qu'il a pu voir aussi la bête ? Est-ce qu'il serait en état de parler?

Elle devait faire une croix sur l'enfant donc. Mais qu'importe, en réalité. Elle était en train de perdre du temps.

-Croyez-bien que si j'avais les réponses à vos questions, je vous répondrai, Sébastien.

Elle se pinça l'arrête du nez et soupira pour la énième fois.

-Ce n'est pas en discutant ici qu'on va l'attraper… J'ai peur qu'elle décide de quitter la forêt et qu'elle aille terroriser un autre village. Mais si quelqu'un la contrôlait, et qu'il s'agissait d'un habitant d'ici…

Si un habitant venait à quitter les lieux le lendemain de tels évènements, il n'en serait que plus suspect. Du moins, Stanislava pensait ainsi. Il y avait également le risque que bon nombres de personnes décident de quitter le village, résultant d'une exode assez importante, et donc laissant tout le loisir à cette personne de s'en aller sans éveiller les soupçons. Voilà pourquoi il était primordial de stopper la bête cette nuit, pour au mieux cesser les attaques nocturnes. L'idéal serait d'attraper la personne responsable et éviter qu'il recommence.

-Capitaine, je vais poursuivre la bête. Essayez de… rester sur vos gardes. Je tenterai de l'attirer, mais je doute qu'elle s'approchera du village.

Stanislava contourna finalement l'homme et quitta la taverne pour se diriger vers l'auberge où elle avait laissé ses quelques affaires pour récupérer quelques objets dont elle aurait sûrement besoin pour la traque.

Nouveau grognement lorsque Sébastien tenta de l'arrêter. Ses heures de sommeil, Stanislava en avait très peu en réalité. Habituée à être sur les routes, elle avait forcé son corps à ne s'accoutumer que de quelques heures de sommeil, général un peu avant et après le zénith. Dormir maintenant signifiait dormir plus qu'elle n'avait l'habitude.

Maintenant que Sébastien l'évoquait, que l'adrénaline était redescendue, elle sentait la fatigue poindre le bout de son nez. Et allez face à la bête maintenant, sans être en pleine forme équivalait à y aller sans aucune préparation et les mains dans le dos.

-Vous avez peut-être raison, finit-elle par avouer dans un soupir.

Après avoir prononcé ses mots, la vampire s'appuya mollement contre le mur de l'auberge, comme si avouer son état de fatigue l'avait finalement rattrapé.

-Je me suis portée volontaire pour répondre à votre requête et… urgh… j'ai quitté mon poste auprès de la Reine et je ne peux m'empêcher de m'inquiéter pour elle.

Elle était vraiment fatiguée, si elle venait à déblatérer ses inquiétudes à un homme qu'elle ne connaissait que depuis quelques heures. Elle avait fait en sorte que ceux qui la remplaceraient feraient convenablement leur travail. Et elle n'avait absolument pas plaisanté quand elle avait assuré qu'elle viendrait les traquer jusqu'à leurs morts s'il arrivait quoi que ce soit à Victoire pendant son absence.

Stanislava esquissa un maigre sourire au trait d'humeur de Sébastien. Pour une fois qu'elle ne soupirait pas. Elle lâcha même un bref rire face à son incrédulité en lui demandant ses fonctions sous la couronne française. Il était vrai qu'elle avait laissé derrière elle son uniforme. En plus d'être une femme, elle n'avait pas spécialement envie qu'on essaye de lui voler sa bourse.

-Je suis son chien de garde, répondit-elle simplement en esquissant un sourire presque carnassier.

Elle s'apprêtait à refuser son offre mais n'avait apparemment pas la force de refuser puisqu'elle se voyait le suivre. C'est vrai qu'elle avait un peu forcé son cheval à cavaler pour arriver dans ce port le plus vite possible. Mais sur le chemin, Stanislava se rappela d'un détail et se stoppa.

-Erm... Mais vous et... Catherine... Ne va-t-il pas y avoir des... Vous savez...?

La dernière chose dont elle avait envie c'était qu'on l'accusé de voler l'homme de quelqu'un d'autre.

Les traits de son visage passèrent de la légère surprise, elle pensait qu'ils étaient encore ensemble, à la légère irritation face à sa question. Stanislava n'avait jamais eu de relations durables. Elle se contentait de petits flirts ou de conquêtes d'un soir. Habituée à un style de vie de nomade et au vue de son espérance de vi, difficile pour elle de s'imaginer vivre une petite vie tranquille avec un époux et des enfants, dans une petite maison de campagne.

-Urgh, laissez tomber, maugréa-t-elle en levant les yeux au ciel.

L'atmosphère se détendit légèrement mais la vampire ne cessait de repenser aux événements malgré elle.

-Oh et comment va le chien...?

Stanislava était capable des pires choses dans la vie, se montrait implacable et froide mais au fond, elle était parfois incapable de résister face aux petits animaux.

Un soupir de soulagement s'échappa des lèvres lorsqu'il assura que Catherine faisait des miracles. Au moins, on avait tenté de le sauver. Elle savait qu'elle ne devait pas s'attacher mais le pauvre animal n'y était pour rien. Maintenant qu'elle y pensait pourquoi la bête avait-elle attaqué ce chien ? Il n'y avait plus de moutons ? Stanislava avait complètement de se poser des questions de ce côté. Bon, elle posera toutes ces questions le lendemain, à tête reposée.

Elle lorgna d'un œil fatigué le lit quon lui présentait et retint de justesse un baillement. Elle jeta un regard en direction du fameux cellier et s'y dirigea après quelques secondes d'hésitation.

-Je me permets alors...

Elle zieuta brièvement son contenu et jeta son dévolu sur quelques tranches de viande séchée. Tout en machouillant son repas frugal, elle revint près du lit, posa son épée près de la tête de lit et retira ses bottes avant de presque se jeter dessus.

-Erm... Je risque de dormir assez longtemps, je n'ai pas vraiment fait de pause depuis hier après-midi pour arriver jusqu'ici, avoua-t-elle en posant sa tête sur l'oreiller.

Par habitude et par instinct, Stanislava retira sa dague de son fourreau et la posa près de sa tête.