Un fauve à la crinière dense? Stanislava fronça les sourcils, son nez se retroussant légèrement. Un lion?! Ils avaient ramené un lion? Pas qu'un mais trois? Ah, les nobles et les riches ne savaient vraiment plus quoi faire pour remplir leur triste journée.

-Je ne vous le fais pas dire, soupira-t-elle. J'espère pour vous que ces fauves ne sont pas en liberté.

Elle marmonna entre ses dents puis, voyant qu'il n'y avait rien d'intéressant sur le chemin qu'ils avaient emprunté, rangea son épée tout en se tournant pour faire signe au capitaine qu'ils pouvaient rebrousser chemin. Mais dans sa manœuvre, elle n'avait pas réalisé que Sébastien était bien plus proche que ce qu'elle croyait et se trouva littéralement à quelques centimètres de son corps.

Le voyant maintenant d'aussi près, elle eut réellement le loisir de le détailler et… se sentit bien bête de lui avoir trouvé une quelconque ressemblance avec Charles. Il n'avait qu'en commun la couleur des yeux et rien de plus. Détournant les yeux, lèvres pincées, elle le contourna pour rebrousser chemin et rejoindre les chevaux qu'ils avaient laissé.

Il faut vraiment que je l'oublie…

Si Stanislava avait été trop absorbée par ses pensées, elle n'aurait jamais remarqué l'empreinte étrange qui avait recouvert une partie des leurs. Tous ses sens se mirent à nouveau en alerte. Ce n'était pas un lion, un loup ou même un ours. Ça avait l'air plus gros que ça. Et Stanislava n'avait aucune idée de ce que ça pouvait être. Son instinct lui soufflait que ça rampait puisque ça n'avait pas l'air d'avoir des pattes... Un serpent ? Un très gros serpent dans ce cas. Quoi qu'il soit, cette chose était passée près d'eux et était sûrement encore
dans le coin.

Ne cédant pas à la panique, la vampire se tourna à nouveau vers Sébastien et lui prit la main pour le rapprocher d'elle. Son autre main vint attraper les pans de sa veste pour reduire la distance entre leurs visagesmais plutôt que de s'engager dans une étreinte plus intime, elle vint murmurer tout bas contre son oreille.

-Vous avez vu l'étrange trace à nos pieds ? Je ne sais pas ce que c'est mais ca n'a rien à voir avec un fauve. Évitez les mouvements brusques. Votre bête doit être dans le coin. Restez près de moi. Compris ?

Elle s'éloigna finalement de lui et lui servit un sourire un brun narquois.

-J'ai l'impression que vous allez devoir présenter vos excuses à vos matelots.

Elle relacha sa main mais resta près de lui, ses mains crispées sur ses armes tandis qu'ils retournaient auprès des chevaux. En espérant que ce derniers ne se soient pas fait dévorés entre temps.

Stanislava haussa un sourcil face à la non réaction de Sébastien. Il n'avait pas l'air véritablement concerné par toute cette affaire, quand bien même c'était lui même qui avait quémander de l'aide. Après tout, c'était bien lui qui était en charge de vérifier les allés et venues, les livraisons et les cargaisons des bateaux n'est-ce pas ? Si une bête étrange était passé sous le nez du capitaine alors il était en partie responsable.

Comment j'ai pu me laisser distraire à ce point ?

Stanislava doutait de tout le monde. En général. Elle aurait peut-être dû insister sur ses affaires clandestines un peu plus tôt. Se réprimandant intérieurement, elle pressa un peu le pas pour arriver aux chevaux, détacha le sien et y monta sans perdre de temps.

-J'espère que vous avez bonne mémoire, mon capitaine. J'aimerais consulter vos registres le plus rapidement possible.

D'un léger coup sur les flancs, elle ordonna à sa monture de reprendre le chemin du retour en trottant, l'oreille tendue au moindre bruit suspect.

Stanislava observe la pièce, cherchant par pur instinct les possibles sortis et attacha peu d'importances à la décoration. Elle retint une grimace en voyant l'état parfois déplorable de certains parchemins. Elle les toucha presque avec délicatesse, de peur de voir l'un d'eux se désintégrer sous ses doigts.

-Je n'aurai besoin que ceux remontant à trois ou quatre mois… ça nous évitera de tout éplucher. Je préfère que vous restiez, nous irons plus vite à deux, ajouta-t-elle sur un ton moins abrupt que dans la forêt.

Attrapant l'un des parchemins, elle le déroula et lui demanda comment il consignait et organisait ses registres, lui redemandant parfois ce qui était écrit là où l'encre s'était un peu effacée s'il s'en souvenait.

Les heures passant, Stanislava s'était retrouvée assise au bureau de Sébastien, passant et repassant toutes les informations qu'elle recevait. Mais rien y fait. Rien ne lui parut suspect. Outre les quelques "oublis" du capitaine, rien ne semblait s'apparenter à une bête qui lui était inconnue. Et puis, si ça avait été un serpent, un très gros serpent, il n'aurai même pas laissé de cadavre, aurait tout englouti du mouton.

Sous le coup de la frustration, la vampire ne trouva qu'une chose à faire: frapper son front contre le bois du mobilier, espérant stupidement qu'une idée lumineuse lui vint. Mais rien. Elle resta prostré ainsi quelques secondes avant de relever les yeux pour se rendre compte que oui, la nuit était déjà tombée. Agacée par sa propre incompétence, elle grogna contre elle puis se leva, récupérant ses affaires.

-Je... J'irai interroger les matelots après avoir pris un peu l'air, annonça-t-elle avant de laisser Sébastien.

Elle quitta la bâtisse et s'enroula dans sa cape pour affronter le froid, quand bien même l'hiver était passé. Sa main posée sur la garde de son épée, elle se dirigea vers les docks, observant distraitement les navires flottant paresseusement sur les eaux sombres. Finalement elle s'engagea sur un ponton et s'y arrêta tout au bout.

Enfin seul avec ses pensées, elle s'accroupit et ferma les yeux, avec le bruit des vagues en fond sonore.

Elle se doutait que cette mission n'allait pas être facile, qu'elle n'allait pas trouver de résultats dans l'immédiat. C'était comme la chasse. Il fallait attendre. Attendre sa proie. Mais comment attendre lorsqu'on ne savait même pas ce que l'on chassait?

Stanislava soupira.

Enfin calmée, Stanislava se redressa et partit pour rejoindre la taverne pour interroger les matelots, comme ce qui était convenu. Mais son attention fut bien évidemment attirée par cette étrange silhouette encapuchonnée, tenant une bougie. Difficile de voir son visage à cette distance et par cette pénombre. Son regard émeraude passa des bâtiments éclairés à l'ombre mystérieuse. Elle hésita. Quelque chose lui disait qu'elle devrait faire ce qu'elle avait prévu de faire mais une autre partie d'elle la poussait à aller voir la silhouette solitaire.

Qu'est-ce que ça lui coûtait de toute façon?

La vampire bifurqua finalement de sa route initiale et se dirigea vers la silhouette. Elle resta néanmoins à un bon mètre d'elle, gardant ses distances et restant sur ses gardes.

-Je vous prie de m'excuser de vous importuner de la sorte par une si belle soirée. J'aimerais vous poser quelques questions au sujet de... d'une possible bête rodant dans le coin. Auriez-vous vu, entendu ou même brièvement aperçu quelque chose...?

Stanislava n'allait pas mentir qu'elle fut surprise de voir une si belle femme sous cette cape. En fait, elle ne s'attendait à rien et à tout. Elle se détendit légèrement mais resta néanmoins sur ses gardes. Que faisait une femme d'une telle beauté, seule, en pleine nuit? Les lieux n'avaient pas l'air dangereux mais au vu des derniers racontars, même les hommes n'osaient s'aventurer dans le coin la nuit. Alors une femme… Mais qui était Stanislava pour juger?

Et puis, son visage lui était vaguement familier. Où l'avait-elle déjà vu?

-Hm… Dites moi, ne nous sommes pas déjà croisé quelque part? Votre joli faciès m'est étrangement familier, lâcha-t-elle pour engager gentiment la conversation.

Penchant la tête sur le côté, une légère moue sur le visage, sourcils froncés en pleine réflexion. Puis elle se rappela d'un détail.

-Dame Catherine? Etait-ce vous que nous avons croisé avec le capitaine Filin un peu plus tôt? Je vous prie de m'accepter mes excuses si je me trompe.

A force de froncer les sourcils, Stanislava se dit qu'elle finira par avoir des rides, et pourtant elle avait près de 700 ans. Le seul point positif de sa race. Les paroles de Catherine ou même sa présence ici même l'intriguaient un peu. Une série de questions la taraudait à son propos. Et Stanislava n'allait pas se priver de les lui poser.

-Eh bien, Catherine... Je me doute que cela ne me concerne pas mais que faites vous dehors, à cette heure de la nuit ? Vous devez sûrement être au courant de cette bête que certains matelots prétendent avoir vu roder dans les alentours.

Et puis, si elle fréquentait le capitaine, il l'aurait mise en garde, même s'il n'était pas lui même très convaincu. Ou même, trainer de nuit lorsqu'on est une femme n'était pas très recommandé. Surtout lorsqu'on est une dame d'une telle beauté.

-Vous en avez entendu parler, n'est-ce pas ? Auriez vous vu ou entendu quelque chose d'étrange ou d'inhabituel ces deux derniers mois ?

Elle cherchait donc Sébastien. Elle s'apprêtait à lui dire qu'il était probablement encore dans son bureau mais se tut lorsqu'elle évoqua son enfant. Mieux valait ne pas ma retarder d'avantage. Et puis, elle avait l'air comme... Apeurée ? Peu à l'aise en tout cas. Était-ce sa présence ? Il était vrai que Stanislava avait désormais un visage peu amical avec sa cicatrice.

-Bien sûr... Mes excuses encore de vous avoir importuné. Je vous souhaite une douce soirée, Dame Catherine. Soyez prudente.

Sur ces mots, elle s'inclina légèrement puis redressa son buste et tourna les talons pour continuer sa route initiale vers la taverne de l'Etalon fendu, sa main gauche dissimulée sous sa cape ne lâchant pas sa dague. Elle n'était pas plus éclairée que cela au final. Tout ce qu'elle avait réussi à en tirer de court échange n'avait rien de bien fructueux à son affaire. La vampire espérait qu'elle sera plus chanceuse avec les matelots. Tant de questions la tourmentaient encore.

Plus le jour passait, plus elle avançait dans cette affaire moins elle comprenait les choses. Stanislava accordait peu d'importance à ce que les gens pensaient d'elle. Mais puisqu'elle était venue ici pour aider ces gens, il était donc naturel qu'elle interagisse avec eux pour récolter diverses informations. Mais quelque chose la dérangeait depuis qu'elle était arrivée ici. Sa présence semblait tout juste être tolérée en ses lieux. Allons bon, ne voulait-il pas se débarrasser de cette bête qui semblait les gêner pour reprendre le travail. Stanislava n'y comprenait plus rien. Des siècles auparavant, elle aurait sans doute taper du poing, ou taper tout court, pour se faire entendre. Mais elle avait fait son bout de chemin depuis, avait appris de ses erreurs et savait que parfois, frapper puis parler, n'était pas forcément la meilleure méthode. Soit.

Claquant sa langue d'énervement, elle passa une main légèrement crispée dans sa chevelure rousse et se dirigea vers le comptoir pour commander une boisson. Sa collation en main, chercha une table de libre, pour être tranquille, mais se ravisa en se rappelant la raison principale de sa venue dans cette taverne: interroger les matelots.

-Dites… je sais que c'est pas une conversation plaisante mais est-ce que l'un d'entre vous pourrait me parler de votre bête? Demanda-t-elle d'une fois forte en s'approchant d'un groupe de matelots.

Et puis, bien évidemment, elle ne sut se retenir d'avantage, sûrement du à sa propre frustration et au peu de progrès qu'elle avait et glissa sur la provocation.

-A moins qu'elle n'existe pas et que vous l'ayez simplement inventé pour une raison qui m'échappe complètement. Je veux dire, vous avez même l'air plutôt content, non? A vous rincer le gosier à longueur de journée. Ça m'étonnerait pas que vous ayez imaginé votre bête, en fait.

Stanislava ne broncha ni ne cilla lorsque l'homme éleva la voix. Il en fallait bien plus pour l'impressionner. Le visage fermé, elle l'écouta se défendre et l'accuser de ne rien faire, réaffirmant ses dires sur ladite bête. Elle se garda bien de sortir une nouvelle remarque acerbe. Elle avait bien vu qu'elle avait peut-être dépassé les limites et obtenir leur coopération n'allait pas être une mince affaire. Elle se savait grande gueule, ne mâchant pas ses mots. Et elle savait qu'un jour, ce trait de caractère allait lui coûter cher. Mais pour l'heure, elle avait encore la tête sur les épaules, elle devait en profiter pour résoudre cette histoire.

-Si elle existe, à quoi ressemble-t-elle? Quelqu'un pourrait me la décrire? Demanda-t-elle en plantant son regard dans celui de l'homme qui avait prit la parole.

Soupirant d'agacement, elle posa sa pinte de bière, retira sa veste de 'noble' puis remonta le manche droit de sa chemise blanche. Se dévoilant à la lumière tamisée de la taverne, la cicatrice d'une morsure ornait son avant bras. Une morsure de lycan. Plus grande et plus profonde que la morsure d'un loup normal. Cette nuit-là, elle avait bien cru perdre son bras.

-Le Capitaine Filin m'a montré le mouton. Et…

Elle se tut en se rappelant de l'étrange trace qu'elle avait découvert dans la forêt. Devait-elle leur en parler? Inutile de les paniquer plus que nécessaire pour l'instant.

-Et si vous voulez tout savoir, je ne suis pas noble. Je n'ai ni terres, ni titre. J'ai l'habitude de la chasse et je peux vous assurer que les morsures sur ce mouton n'ont rien à voir avec celle d'un chien errant.

Elle couvrit à nouveau son bras et replaça sa veste sur ses épaules.

-Je veux bien vous croire, pour votre histoire de bête. Mais j'aurai besoin de votre aide pour m'en occuper. Alors, quelqu'un ici peut-il me répondre: à quoi ressemble la bête ?