La nuit de Stanislava est une nuit sans rêves, sans songes, pour une la première fois depuis des années ? Des décennies ? La vampire ne saurait dire, après avoir vu tant de Lune. Elle grogna en se redressant, papillonnant des yeux pour s'acclimater à la luminosité de la pièce. Réajustant ses vêtements et ses cheveux, elle s'approcha de la fenêtre, poussa du bout des doigts le rideau et soupira de soulagement en voyant que le zénith était déjà passé. Mais bon sang, avait-elle dormi aussi longtemps ? Ce n'était pas son genre. La nuit dernière avait été assez particulièrement mouvementée mais elle avait connu pire.

Elle jeta finalement un rapide coup d'œil à la note laissée sur le bureau. Elle grignota dans le quignon pain, trempa quelques morceaux dans la soupe et la finit presque d'une seule traite avant de finalement quitter le bureau du capitaine. Puisque le capitaine devait interroger les matelots, peut-être se trouvait-il près des docks ? Stanislava s'y dirigea pour tenter sa chance.

-Capitaine Filin?

-Beaucoup plus longtemps que prévu...

Pendant une fraction de seconde, Stanislava paniqua. Elle s'insulta mentalement d'idiote de ne pas avoir pensé à ce détail. Dans le feu de l'action elle avait oublié ce détail.

-À la joue ? Êtes vous sûr ? J'avais pas mal de sang du chien sur moi, répondit-elle sur un ton légèrement confus en se touchant les joues.

Elle décida de jouer la carte de l'ignorance et en profita pour changer de sujet.

-À en juger par votre tête, on dirait que vous n'avez pas pu tirer grand chose de vos hommes... Dites moi... La bête n'attaquait que le bétail jusqu'à présent ? C'est la première fois qu'elle s'en prend à un chien ?

Avec la rapide description du capitaine, et après avoir entendu le cri qu'emettait la créature, Stanislava fut bien forcée de retirer de sa liste les créatures de la nuit, lycans et vampires. Quelque chose qu'elle n'avait jamais vu... Quelque chose de pire ? Stanislava n'aimait vraiment pas ça.

Si effectivement il n'y avait plus un seul mouton dans le coin, pas étonnant qu'il se rabattre sur le petit chien. Et la bête évitait soigneusement les humains, semble-t-il.

-Il faudrait retourner vers la forêt alors, voir s'il n'y a pas d'indices supplémentaires. Mais j'en doute. Pas de caverne ou de grottes dans le coin ?

Cette bête devait bien avoir un endroit où se cacher de jour, non ? Même si peu de personnes fréquentait la forêt, elle ne prendrait pas le risque de se montrer. Et puis cette hypothèse qu'elle serait contrôlée par quelqu'un restait en suspense.

-La nuit dernière... Quand je suis entrée dans la forêt, il n'y avait pas un seul bruit. Rien. C'était très étrange. Et puis avant que la bête ne disparaisse, j'ai entendu comme un son d'oiseau. Puis plus rien lorsqu'elle la bête fut partie. C'est peut-être une coïncidence. Cette histoire prend une tournure bien étrange...

Tellement étrange que Stanislava s'attendait à tout et à rien. Après cette nuit, les habitants du port devaient être plutôt secoués.

-Avez vous eu des nouvelles de Catherine ? Et comment va le petit garçon ?

Stanislava assimila les informations avec une pointe de déception. Ou pouvait-elle bien se cacher ? Et qu'en était-il de la personne qui, suppose-t-elle, la contrôlait ? Elle devait bien vivre quelque part non ? Mais où ? Quand même pas au port, si ?! Se cacherait-elle parmi les habitants ? Et la bête... Et si comme les lycans, elle pouvait revêtir forme humaine ? Cette simple pensée lui glaça le sang. Il existait donc des créatures nocturnes autre que les lycans et les vampires ?! Elle devrait pas être si étonnée par cela. Son existence elle même prouvait bien que tout pouvait exister. Et puis, n'y avait-il pas des humains possédant des pouvoirs capables de les combattre ?

Mais elle n'eut pas réellement le temps de se pencher plus sur ses réflexions qu'elle dut répondre à Sébastien, lui annonça qu'elle souhaitait voir le petit chien. Un petit moment de répit avant de retourner dans son enquête.

Stanislava ne pipa mots durant le court trajet. Tournant et retournant ses suppositions dans sa tête, elle ne put s'empêcher de noter la maison un peu en retrait de Catherine. Maintenant que l'hypothèse avait germé dans son esprit, difficile pour elle de la déraciner et de commencer à suspecter tout le monde. Elle ne devait rien laisser au hasard, pas même la belle dame ou même le Capitaine. La vampire allait devoir jouer plus subtil que ce qu'elle n'avait l'habitude.

La vue du petit chien enroulé dans un bandage la détourna cependant de ses pensées sombres et elle approcha une main douce pour le gratouilles derrière une oreille.

-Mon pauvre... Tu as dû avoir une sacrée peur...

Son regard émeraude ne manqua pas le bandage autour du bras de Catherine mais elle se retint tout commentaire pour l'instant.

-Catherine, je souhaiterais vous présenter mes excuses pour la nuit dernière si je vous ai... Effrayé ou gênée d'une quelconque façon. Je sais que je n'ai pas le visage le plus aimable qui soit et avec la bête qui rôde... Veuillez m'excuser.

La vampire s'inclina légèrement, espérant qu'elle accepte ses excuses.

Stanislava lui offrit néanmoins un sourire gêné avant de prendre le petit chien dans ses bras et de lui faire des cajoles, tout en faisant attention à ne pas le brusquer. Elle nota l'origine de sa blessure dans un coin de sa tête puis repondit à sa question.

-On va retourner dans la forêt pour voir s'il a laissé un quelconque d'indice... Et puis en fonction, on verra pour la traque...

Elle allait devoir y aller avec un peu plus de recul cette fois-ci. Et puis elle se demandait bien ce qui était arrivé à son gant. Si la bête l'avait complètement ignoré ou non.

-Je pense que nous devrions y aller avant que la nuit ne tombe, annonça finalement la vampire avant de confier le chien à Catherine.

Elle donna une dernière gratouille au chien, remercia la demoiselle une dernière fois avant de quitter la maison, attendant Sébastien a l'extérieur, réfléchissant à la marche à suivre pour le reste de la journée.

Une battue ? Pourquoi pas. Mais la bête ne va-t-elle prendre peur? Et puis, rien ne lui garantissait qu'elle serait là. N'attaquait-elle pas de nuit, d'ailleurs ? Serait-elle prudente ? Allait-elle se terrer jusqu'à ce que les choses se calment ou qu'elle soit partie ? Trop de questions se bousculaient dans sa tête. Et Sébastien semblait attendre sa réponse.

Que faire ?

D'un côté la battue risquait d'éloigner la bête mais avec plus de monde, ils trouveraient plus d'indices plus facilement et plus rapidement et couvrir plus de zone.

-Pourquoi pas. Mais il faudra rester sur nos gardes.

Il ne manquerait plus qu'un matelots se blessé au passage.

Stanislava observa les matelots que Sébastien avait rassemblé pour leur battue. Six semblait être un nombre correct. Enfin, elle ne pouvait pas vraiment savoir, elle n'en avait jamais fait. Elle préférait largement travailler seule. Mais elle n'avait pas le choix, cette fois-ci.

-Hmmm… On peut commencer par l'entrée de la forêt, je suppose. Je dois vous avouer que c'est la première fois que je fais cela.

La vampire prit la tête du groupe et marcha d'un pas assuré vers la forêt. Une fois arrivée, elle plissa brièvement les yeux, se demandant si elle pourrait se rappeler du chemin qu'elle avait fait la veille.

-N'hésitez pas à vous manifester si vous voyez quelque chose d'inhabituel. Oh ! Et si vous trouvez en gant en cuir tâché de sang, c'est à moi.

Elle montra aux matelots son autre gant avant de commencer la battue, fouillant tantôt le sol, tantôt les buissons, relevant régulièrement les yeux pour voir ou en étaient les autres.

Stanislava siffla entre ses dents en regardant la pluie tombée.

La battue n'avait pas donné grand-chose au final, si ce n'est que l'apparition d'empreintes qu'elle n'avait jamais vu. Des anciennes et fraiches, montrant bien que la bête avait choisi la forêt comme sorte de refuge. Elle n'avait même pas retrouvé son gant !

Soupirant de dépit, la vampire s'affala à moitié sur la table, sa bière devant elle. Ils avaient fini par se replier dans la taverne. La joue appuyée contre son poing, ses doigts pianotant contre le bras, elle se tritura les méninges, faisant un résumé de ce qu'elle avait appris jusque là. Une bête pas très grande, plutôt agile, qui n'attaquait que de nuit. Peu probables qu'il s'agisse d'un lycan ou d'un vampire. D'une bête, d'un animal clandestin arrivé par mer. Ne dévore pas entièrement ses proies. Semble être attirée par le sang? Et possibilité qu'elle soit contrôlée par quelqu'un. Et rien de plus.

Elle se redressa finalement, prit une gorgée de sa boisson, observa quelques secondes de silence.

-Avant ces attaques… rien d'étrange ou de particulier n'est arrivé dans la région? Rien qui ne sorte de l'ordinaire? Vous m'aviez dit que les nouveaux visages étaient rares, par ici, finit-elle par demander au capitaine et aux matelots.

-Si elle n'a plus de moutons ou de chiens à se mettre sous les dents, c'est fort possible, lui avoua-t-elle avec une grimace. Dans le meilleur des cas, elle cherchera un autre endroit.

Après de nouvelles gorgées, elle reprit son interrogation.

-Combien y'en a-t-il exactement qui vivent éloigner des docs? Et auriez-vous connaissance d'une maison, d'un cabanon même, inhabitée? Ou même sur la plage?

Si la bête revêtait une forme humaine, il lui fallait un endroit discret pour se transformer à l'abri des yeux. L'homme, quand il ne comprenait pas quelque chose, avait tendance à le craindre et à donc détruire ce qu'il craignait. Tout animal avait un instinct de survie et celle de la bête lui soufflait de rester éloigné des humains, de leurs fourches et de leurs torches enflammées.

Pas de maison ou de cabane abandonnée ou la bête pourrait se terrer. Stanislava plissa des yeux. Sa liste d'options commençait à fondre comme neige sous soleil. Ça en devenait très gênant. Et frustrant. Si bien qu'elle finit sa boisson alcoolisée cul-sec et se releva pour demander une nouvelle pinte au tenancier avant de revenir auprès du tenancier. Elle ne prit cependant pas de nouvelle gorgée dans l'immédiat et sembla se perdre dans ses réflexions.

-C'est une possibilité à ne pas écarter, répondit-elle le plus sérieusement du monde en plongeant son regard dans le sien. Vous savez, j'ai… vu pas mal de choses dans la vie…

D'un geste un peu las, elle indiqua la cicatrice à son oeil gauche.

-Je pensais avoir tout vu, que plus rien ne me surprendrait mais cette bête est entrain de me prouver le contraire…

Stanislava haussa un sourcil en voyant la main de Sébastien sur la sienne mais ne la dégagea pas pour autant. Elle l'écouta parler de son attachement pour les matelots, comment il les considérait comme sa famille. Stanislava ignora la pointe d'envie qui montra le bout de son nez.

-Merci Sébastien… Je pense retourner en battue, même s'il pleut. Libre à vous de venir avec moi.

Un sourire léger et sincère franchit ses lèvres en voyant son air gêné.

-Si je vous parle de ce que j'ai sur le cœur, j'ai peur que le votre ne soit pas bien accroché, continua-t-elle sur un ton plus taquin. Mais c'est très gentil de votre part.

Elle serra brièvement sa main en retour puis la retire et reprend quelques gorgées de sa boisson.

-Devrions-nous manger avant de repartir à l'aventure?