Ses recherches pour trouver madame Lorient le conduisirent jusqu'à une certaine Baronne de Viveclair, comme l'avait indiqué feu Gaspard. A priori, il était donc sur la bonne piste.
Il ne se formalisa pas des regards gênés des domestiques de son hôtesse. Ils le prirent en premier lieu pour un truand puis pour un paysan en plein délire, jusqu'à ce que la baronne eut vent de l'agitation à l'entrée de sa demeure. Elle fut surprise, pensant d'abord que Sadie avait répondu à la demande d'aide transmise à madame May, mais l'invita bien vite quelques heures afin de lui faire part d'une adresse approximative de sa domestique et des malheurs dans lesquels son fils l'avait mise.
L'entrevue s'acheva, la baronne lui souhaitant bon courage et de ne pas hésiter à revenir la tenir au courant de l'avancée de l'affaire. Sadie ne promit rien, se contentant d'un vague hochement de tête. Les histoires et rouages internes des vies des domestiques ne l'intéressait guère. Il comptait simplement tenir sa promesse à Gaspard.


Le lycan fronça légèrement le nez, guère rassuré par la bâtisse lui faisant face. La bicoque était en mauvais état. Son regard courut de la porte jusqu'aux deux fenêtres basses, montant vers le toit à la gouttière tordue, avant de revenir au palier. Il inspira, et appela depuis l'extérieur après un bref coup à la porte.

« Madame Lorient ? Je viens de la part de votre époux, Gaspard. »

Sadie retint un soupir. Faire montre de patience. Il toqua de nouveau un son très léger à la porte et reprit d'une voix douce.

« Votre mari est mort en mission, madame Lorient. Il m'a demandé de remettre quelque chose à votre fils. »

Prudent, Sadie entra en faisant attention de ne rien bousculer. Il referma la porte derrière lui et resta debout, une main sur le pommeau de son épée.

« Oui. » Sadie n'était pas un beau-parleur, et ce genre de situation ne lui semblait pas mériter de souiller la mémoire du défunt. « Mais ça n'aura pas duré longtemps, et il a su sourire jusqu'au bout. Mes condoléances. »

La présomption de l'humaine faillit lui faire lever les yeux au plafond. Lui n'avait rien voulu. Gaspard, en revanche, avait souhaité pouvoir envoyer une dernière volonté à sa famille, et il se trouvait que le lycan était alentours pour l'entendre.

S'avançant dans la pièce, il tira le couteau que lui avait remis Gaspard et le présenta, paume ouverte, à madame Lorient.

« Il voulait que ceci revienne à son fils. Il avait cru comprendre qu'Urbain souhaitait devenir voleur pour suivre ses traces, l'imiter. Gaspard tenait à lui transmettre que ce n'était pas la vie qu'il souhaitait pour lui. Que lui-même avait changé, et faisait désormais un travail honnête. Il tenait à ce que son fils sache qu'il n'était pas mort comme un voleur. »

Sadie pencha légèrement la tête, ajoutant.

« Votre mari m'a sorti d'un bien mauvais pas, juste avant de mourir, et a agi en héros contre une meute de loups sauvages. Il était important pour lui que votre fils soit au courant, et qu'Urbain aspire à une vie plus méritante que celle que Gaspard a pu mener dans sa jeunesse. »

Sadie haussa discrètement les épaules. Comprendre les pensées traversant l'esprit d'un être aussi jeune était hors de sa portée, désormais.

« Je comptais lui remettre ce couteau, oui, il faudra donc bien qu'on le retrouve pour ça. Avez-vous une idée du dernier endroit où il a été aperçu ? La Baronne m'a accordé une entrevue ce matin et m'a expliqué votre situation, mais ses informations ne paraissaient pas tout à fait claires. »

« Hm. »

Sadie fronça le nez. L'idée ne lui plaisait pas particulièrement. Pas du tout même. Les tanneries étaient des zones de puanteur pire que la mort. Son odorat y serait inutile, le rendant quasiment aveugle à ce stade, et risquait de le brûler pendant des heures encore une fois sorti de cet enfer.

« Quels objets a-t-il volé ? J'en profiterai pour demander à quelques contacts si des choses correspondant à leurs descriptions ont été aperçues à la vente. »

Le lycan secoua la tête en douceur, levant une main pour signifer qu'elle n'avait pas à s'excuser.

« Ce n'est rien, madame Lorient, merci pour le temps que vous avez pu m'accorder. »

Il salua son hôtesse d'une inclinaison élégante de la tête et s'arrêta sur le seuil, ajoutant par dessus son épaule.

« Votre mari a été un compagnon de route bon vivant, aimable et toujours bien disposé, plein de joie de vivre jusque dans ces derniers instants. Il ne l'a pas dit en ces mots mais il tenait beaucoup à vous et à votre fils, malgré ses absences. Je ferai mon possible pour retrouver Urbain. »

Une promesse était une promesse, après tout. Et si le gamin était déjà mort, peut-être pourrait-il au moins ramener une dépouille à cette pauvre femme, cette fois.

Il quitta la modeste demeure de la veuve Lorient. Une fois dehors, Sadie n'eut qu'à lever légèrement la tête pour flairer la trace nauséabonde menant dans la direction des tanneries.

La puanteur rance ne fit que croître, piquant les yeux du lycan et le forçant à adapter sa respiration. Il n'y avait vraiment que l'homme blanc pour être capable de produire une chose pareille et s'en accommoder comme si un tel supplice olfactif était normal ou naturel. Il retint un soupir dégoûté, préférant ne pas inspirer plus que de raisons. Les steppes désertiques et les grandes plaines de l'Ouest lui manquaient atrocement.

Du coin de l'oeil, son regard accrocha un étal modeste. En dépit du hameau piteux, le marchand paraissait proposer quelques provisions de bonne facture, et d'une fraîcheur convenable. Il arrêta sa monture, courtoisie de la Baronne afin de l'aider dans son affaire avec la domestique, et qu'il était convenu de retourner - de même que le fin de mot de l'histoire - une fois le fils retrouvé, et mit pied à terre pour observer les marchandises de plus prêt.

Il pencha légèrement la tête en observant les produits.

« De la viande de boeuf séchée et quatre de ces pommes, là. Un bout d'étoffe également, et un pochon d'herbe aromate, peu importe laquelle, ce que vous avez en stock conviendra. »

Du moment qu'elles masquaient un tant soit peu le fumet écœurant planant dans l'air.
Sadie sortit quelques pièces de sa bourse, à hauteur de la commande, et les garda en paume en ajoutant innocemment.  

« Me conseillez-vous autre chose pour la route ? »

Demander de front si le marchand avait vu passer des objets de valeur dans le quartier attirerait plus de méfiance qu'autre chose. Sadie ne cherchait pas les ennuis. Un détour de discussion banale lui apporterait peut-être une quelconque information.

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Un sourire ourla les lèvres du lycan, quelque chose de presque tendre, derrière l'ombre de cynisme. Les hommes et leur roublardise enfantine avaient quelque chose d'incroyablement pathétique.
Sadie ne cherchait pas les ennuis, non. Mais il n'était pas du genre à se plier à ce genre de bassesses en courbant l'échine bien gentiment. Si la manière douce n'était d'aucun effet et bien soit. La manière forte lui seyait tout aussi bien.
Sans plus de cérémonie, Sadie jeta les 15 pièces vers le marchand et prit 4 pommes. Pendant que l'homme se précipitait pour récupérer l'argent rebondissant dans toutes les directions et roulant au sol, Sadie sortit son couteau de chasse. Il déchira allègrement un bout de tissu directement dans l'étoffe couvrant l'étal et se servit une poignée de viande séchée, qu'il enfourna dans son sac en compagnie des pommes.
Coupant cours aux protestations, Sadie planta la pointe de son arme dans l'étal, un coup sec qui fit trembler la structure en embrochant quelques produits, sûrement, et reprit en s'inclinant vers le marchand.

« Dans ce cas, qu'avez-vous à conseiller à un mercenaire mandaté, et qui n'a que faire de rougir la boue du sang d'un escroc dans votre genre ? »

Son sourire resta aimable, de même que sa voix, ce qui rendit la chose autrement plus menaçante qu'elle ne l'était déjà.

« Là, » fit-il, satisfait, remettant l'arme dans son fourreau. « Ce n'était pas si compliqué. »

Sadie avait toujours eu du mal à comprendre ce besoin de ruse et de sournoiserie pour obtenir de l'autre quelque chose, d'autant plus quand le dit autre était ostensiblement plus armé, et en mesure de vous briser la nuque s'il le souhaitait. Mais considérant le décor piteux et presque miséreux, la nécessité de tels stratagèmes devenait évidente. Quand bien même, l'homme aurait tiré bien plus de l'échange s'il s'était simplement montré honnête.
Le lycan remonta en selle, piochant quatre pièces supplémentaires de sa bourse.

« Pour la viande, » expliqua-t-il en les envoyant dans les mains du marchand avant de se diriger vers les tanneries.

Sadie avait été beaucoup de chose dans sa vie, et en serait sûrement beaucoup d'autre à venir, mais voleur n'était pas dans ses aspirations immédiates.