On entendit un petit couinement peu digne dans la nuit : celui de l'abeille complètement détrempée. En matière d'espionnage et de discrétion il y avait de quoi progresser... Vexée comme un poux par l'attitude du patron de l'auberge qu'elle détestait pour de bon, elle fit demi-tour. Quelle honte. Heureusement que les nuits d'été sont chaudes et qu'elle ne risque pas d'attraper un rhume.

Ce soir, point de détour par la forêt ni de rencontre surprise avec une créature de la nuit attentant à sa vie. Le chemin du retour se fit sans encombre. Seul son égo était blessé, mais ce n'était que partie remise. Demain, elle ferait en sorte d'interroger la servante. Sincèrement, si elle avait des soucis, les étouffer ne la sauverait pas...

Arrivée chez la baronne, elle tomba nez à nez avec son fils aîné. Le rouge lui monta aux joues, se sentant ridicule. Elle ne voulait pas lui donner d'explication, pour quoi passerait elle au juste ? Fort heureusement, Théodose était bienveillant à son égard et c'est avec une certaine forme de plaisir qu'elle se laissa faire entre ses bonnes mains.

Elle s'essuyait sa chevelure brune avec la serviette qu'il venait de lui donner, tandis qu'elle l'observait faire partir le feu avec beaucoup de peine. Il n'était pas doué et s'il avait demandé l'aide de l'abeille, ça aurait été bien plus rapidement fait. Néanmoins l'attention était adorable. Doucement, les braises prirent le bois et se reflétaient dans le bijou de l'aîné. Le fameux bijou... La sorcière ne pouvait s'empêcher de l'observer avec une certaine fascination.

- Vous êtes bien aimable, merci Messire. J'espère que je ne vous inquiète pas, ni ne vous incommode. Ma tâche traîne ici, j'aimerais tant vous aider. Mais à part proposer à votre frère de prendre l'héritage de votre père à votre cou et de vous laisser la baronnie, je ne vois pas d'issue...

La sphère était toujours aussi belle. Est-ce qu'elle avait espéré découvrir un secret à son sujet ? Oui, très franchement. Rien de tout cela pourtant. Ses yeux la quittèrent pour retrouver Théodose. Il lui tendit des vêtements, lui expliquant qu'ils appartenaient auparavant à sa mère. C'était un peu étrange, mais sa mère avait du goût. Et puis elle n'était pas du genre à faire la fine bouche quand c'était gentiment proposé. Des habitudes d'orpheline, très certainement.

Un petit sourire narquois naquit sur ses lèvres en constatant ses joues rouges.

- Je pourrai bien me changer ici si vous me promettez de regarder ailleurs. Elle laissa le temps à ses paroles de faire leur effet avant de rire. Je plaisante Messire. Je m'en vais me changer à l'étage et je reviendrai boire ce vin chaud avec vous. Merci beaucoup.

Là-dessus, elle le quitta, avant de lui avoir remis son bijou, pour rejoindre la chambre qu'on lui avait attribué, fière de sa petite blague. Qu'elle n'arrive jamais aux oreilles des sœurs ou elle aurait le droit à un sermon long comme un jour sans pain...

Les plus accrocs à la mode diraient que les vêtements n'étaient plus de la toute dernière tendance, néanmoins Athénaïs se plaisait dedans. Ils étaient très bien conservés, avec de beaux tissus et bien coupés. On aurait presque pu croire qu'ils étaient fait pour elle. Ravie par sa tenue, elle descendit pour rejoindre l'aîné près de son feu.

La maladresse du baron était touchante. Et son compliment, pas très serein, lui fit extrêmement plaisir. Car oui, Athénaïs avait beau avoir été élevée par des sœurs, elle aimait savoir qu'elle ne laissait pas les autres indifférents.

- Merci Messire, vous les avez choisi avec goût. Vous avez l'œil si je peux me permettre. Je ne suis ici que depuis quelques jours, mais vous semblez déjà connaître mes mensurations : ils sont parfaitement ajustés. Dit-elle encore avec son petit sourire narquois. Puis elle regarda le verre qui lui était destiné. C'est parfait, n'ayez crainte. Votre mère et vous êtes des hôtes en or. Beaucoup, sans leurs domestiques, seraient bien incapables de se servir un verre ou d'allumer un feu.

Qu'est-ce que quoi ? La sorcière faillit avaler de travers sa gorgée de vin chaud (très bon, au passage). Que voulait-il dire au juste ? Rester auprès d'eux parce qu'ils ont besoin de domestique ? Pour être la dame de compagnie de sa mère ? Son médecin particulier ? Pour devenir l'épouse de l'aîné et ainsi accéder au statut de baronne ? Non, elle devait s'emballer. Pourquoi une sage-femme du petit peuple mériterait une telle élévation dans la société ? Il lui fallut plusieurs secondes pour refouler son envie de tousser bruyamment après avoir avalé de travers.

- Je ne suis pas certaine de comprendre, Messire... Elle ne voulait certainement pas passer pour la potiche de service souhaitant se faire désirer. Certes elle avait joué, mais s'il s'agissait d'une proposition sérieuse pouvant changer son destin, il valait mieux jouer carte sur table. J'apprécie sincèrement votre mère, elle est très touchante et mérite toute l'affection possible. Quant à vous, vous êtes un homme très charmant. Je sais qu'il est bien cavalier de la part d'une femme de parler en ces termes... Dites-moi sans filtre ce à quoi vous songez ?

Tiens, cela lui rappelait une proposition similaire, quatre jours plus tôt...

L'orpheline n'avait pas rêvé, comme on pourrait s'y attendre avec ce genre de jeunes femmes, abandonnées, rêvant d'une meilleure vie, du prince charmant. Elle papillonna des yeux pour mieux s'ancrer dans la réalité. Et tout était réel, elle n'était pas dans un songe dont elle peinait à s'extirper.

Un baron lui proposait bel et bien de l'épouser. Il avait conscience qu'ils ne se connaissaient que depuis quelques jours, et très peu de surcroît, mais désirait croire en l'amour qui se développe avec le temps. Les sentiments peuvent souvent naître après l'union, alors que les jours passent et le bonheur n'est pas toujours accessible dès l'échange des vœux. Athénaïs était bien d'accord avec Théodose et son point de vue du mariage ainsi que son approche de la question, bien différents de celui de son jumeau, plaisait bien davantage à la sorcière. Pour autant, pouvait-elle dire oui ou non dès maintenant ? Sa seule certitude : non. Une réponse, quelle qu'elle soit, serait bien hâtive.

Après une dernière gorgée de vin chaud, la sorcière prit une grande inspiration pour trouver du sérieux et du calme. Avec beaucoup de tendresse elle observa le baron.

- Je crois Messire que vous êtes l'auteur du plus beau compliment que j'ai pu recevoir à ce jour. Sachez que je suis grandement flattée de votre proposition. Vous êtes un homme sensible et conscient que l'amour est une graine que l'on laisse grandir avec le temps.

La petite orpheline en elle se sentait émue par la situation. Quand bien même sa présence ici était forcée, liée à une mission pour laquelle elle serait rémunérée, elle se sentait bien accueillie, à l'aise et appréciée à juste titre. Si bien que, même s'il est se sentait plutôt comme un électron libre, n'avait pas le désir de maternité, cette demande en mariage eut le don de la toucher dans son cœur de femme.

- Je ne me suis pas étendue sur mon passé Messire, mais je suis une orpheline, sans famille, sans le sou. J'ai été élevée par des sœurs dans une éducation religieuse et stricte. Je sais que j'ai l'air un peu bohème, décalée, familière et que je ne donne pas l'impression de vouloir une situation très stable... Mais au fond, il est vrai qu'un mariage heureux n'est pas pour me déplaire. Comme vous, j'imagine que l'on peut trouver l'amour avec le temps. Pour cela il faut de la confiance. Je dois être honnête avec vous, puisque vous m'accorder la vôtre en vous projetant potentiellement avec moi à vos côtés... Je ne suis pas tout à fait libre de mes choix et de mes déplacements. Par conséquent, je n'ai pas le pouvoir de choisir mon avenir auprès de vous, ou non.

Elle ressentit un pincement au cœur. Elle jouait carte sur table, sans trop s'étendre sur les détails. Bien évidemment, elle ne lui parlait pas de l'Eglise souterraine, ni de sa condition de sorcière. Mais elle évoquait sa situation d'esclave et bien évidemment, cela n'était pas pour lui faire plaisir. Enfin, pas en ces termes, mais c'était tout comme pour elle. Athénaïs poussa un soupir, se doutant que sa réponse n'était pas celle attendue par Théodose, mais elle ne pouvait se résoudre à mentir et promettre l'impossible.

- Théodose... Je ne peux vous dire oui, mais je ne vous dis mas non. Je peux seulement vous demander du temps ensemble, un peu de patience et beaucoup de prières... Alors peut-être pourrai-je vous dire oui, car sachez que je considère cette réponse. Après tout, vous me semblez bon, vous avez la possibilité de m'offrir une famille que je n'ai jamais eue, un toit, une situation.

L'abeille sentit ses joues rosirent et son rythme cardiaque augmenter. Le frétillement au bout de ses doigts était inhabituel, mais elle en conclue elle-même que c'était la faute de cette conversation qui avait le don de la chambouler. Peut-être que son avenir allait changer ? Peut-être qu'elle n'était pas cette femme aussi indépendante qu'elle prétendait être ? Peut-être qu'elle s'était longtemps mentit pour avancer ? En tout cas, la demande de Théodose ne lui fit pas du tout le même effet que la proposition de son frère Eliott et cela n'avait rien à voir avec l'argent et la baronnie.

Le jeune baron aurait pu ne pas accepter d'attendre et l'envoyer paître, mais son sourire semblait sincère et communicatif. Athénaïs lui sourit à son tour, désirant ne pas penser aux sœurs et à leur décision. Car finalement, ce seront elles qui auront le dernier mot sur tout ceci... Ou plutôt, l'Église souterraine.

S'en suivit un échange plaisant entre Théodose et la sorcière. Ils trouvèrent même l'occasion de plaisanter et de détendre l'atmosphère. Peu à peu, la brune se sentit s'alourdir. Elle n'avait pourtant pas manger tant que ça au dîner. Finalement, la sensation se propagea dans tous ses membres et sans qu'elle comprenne pourquoi, elle se sentit prise d'un malaise impossible à éviter.

Fort heureusement, elle n'eut pas l'occasion de croiser le sol avec violence et le baron la rattrapa juste à temps avant de l'allonger. Perturbée par ce corps dont elle était maintenant prisonnière, elle n'était pas certaine de comprendre ses paroles. Elle aperçu sur le côté la domestique, revenue pour on ne sait quelle raison. Et son regard se posa sur son verre, qu'elle avait vidé durant leur conversation.

Elle comprit.

Le sommeil venait la prendre et elle sentit ses cils se border de larmes, insatisfaite d'avoir failli à sa mission. Elle ne savait pas si elle avait réellement parler ou si elle avait seulement pensé, néanmoins elle voulut s'exprimer, difficilement, avant de sombrer dans un sommeil sans songe.

- Pitié, pensez à votre mère...

Une éternité qui n'était en fait qu'une nuit et une demi- journée, voilà tout le temps qu'elle avait dormi. En se réveillant, elle retrouva la sensibilité dans ses membres et bascula pour s'asseoir. Son regard se posa sur le verre incriminé dès son réveil. Elle s'en voulait terriblement...

Elle se sentait terriblement honteuse d'avoir dormi longtemps. Elle n'avait aucune idée de ce qu'il s'était déroulé entre les deux frères et, sachant que l'un était armé d'une bête féroce répondant à un simple sifflet, elle n'était clairement pas rassurée... Elle s'en voulut, gravement. Qu'allait-elle faire et surtout qu'allait-elle dire à la baronne ?

Cette dernière semblait émerger d'une très longue nuit également et descendit à la rencontre d'une âme qui vive dans ce salon. Avec de l'hésitation dans la voix, elle appela son aîné, pour finalement ne tomber que sur la sorcière, vêtue de ses vêtements. Encore un peu déboussolée, ne souhaitant pas alarmer outre mesure la mère a la santé déjà très fragilisée alors qu'elle ne savait rien de la situation actuelle, Athénaïs tenta d'être rassurante.

- Il est sorti Madame. Est-ce que vous souhaitez que je sorte le chercher au plus vite ?

Il faudrait de toute façon qu'elle se mette au plus vite à la recherche de la servante et des jumeaux...