Béatrice s’était d’abord montré réticente à l’idée d’un bal : au delà de la tenue à parfaire et des membres de la haute société dont elle devrait supporter les regards supérieurs, c’était cette notion véritable de monde qui l’inquiétait. L’endroit promettait d’être bondé, et par conséquent, elle subirait sans doute les affres de son pouvoir comme ça lui était arrivé tant de fois plus jeune. À s’échapper telle une princesse de conte pour s’isoler, le nez sanguinolent en plus, nul doute qu’elle ferait parler d’elle — mais pas en bien.

Mais comme en attestait la voix masculine dans sa tête qui venait troubler sa quiétude de temps à autre, au fil des missions, les choses s’étaient bouleversées. Elle le sentait, elle-aussi — ou plutôt ne le sentait plus, ce brouhaha constant de pensées contradictoires sitôt un lieu investi. Son contrôle avait changé. Il s’était amélioré. Peut être que la soirée ne serait pas un supplice.

Et puis Constantin serait de la partie. Même s’ils ne s’entendaient pas toujours sur tout, elle était venue à apprécier la familiarité de sa présence et, même si elle peinait à se l’avouer, se plaisait à le suivre dans ses tribulations. Scar aussi, quoiqu’il s’y rendrait avec quelqu’un d’autre : la chose avait piqué sa curiosité mais elle n'avait pas osé demander plus de précisions à un garçon si taciturne.

Si elle se rendait au bal, elle saurait...
Peut être s’y rendrait-elle, oui.

Du reste, l’événement était accessible à tous, et donc à elle — elle songeait, en s’apprêtant, à tous les gens qu’elle aimerait y voir.

Pour qu’ils restent discrets, il avait été convenu qu’elle parte un peu plus tard que le Cardinal, de sorte à ce qu’ils n’arrivent pas ensemble. Et sans sa ponctualité pour la rappeler à l’ordre, ne dépendant que d'un Alfred fatigué pour ce qui était de la discipline, ce fut sans surprise que son départ s’annonça plus tardif que prévu... Et avec lui, son arrivée.

Craignant d’avoir déjà commis un impair, Béatrice se rassura en découvrant la foule de gens qui se pressaient encore dans la hall d’entrée. La plupart de ces dames étaient au bras de cavaliers — de père, de frère ou de mari, présent ou futur, et le sien lui parut cruellement vide... Peu importait, au fond. Elle n’était pas là pour charmer un noble et sécuriser des fiançailles avantageuses : ce genre de considération la dépassait largement, désormais.

Croisant son reflet dans une vitre, elle retrouva aussitôt un peu de sa confiance : elle se trouvait magnifique dans la robe que lui avait offerte Constantin... Ou en tout cas celle qu’il avait financé par bonté de cœur. Ses propositions étaient d’abord plus modestes, mais lorsque la blonde avait aperçu celle qu’elle revêtait désormais, il avait fallu céder, attendri par les étoiles dans ses yeux. Elle se sentait comme une petite fille, fort impatiente de lui montrer le résultat de ses heures à s’apprêter.

Mais voilà qu’un homme partait en même temps qu’elle arrivait. Il ne lui fallut pas bien longtemps pour reconnaître à qui appartenait ces larges épaules et ces cheveux rebelles.

— Scar ?

Elle arriva bientôt à sa hauteur, prenant connaissance des gardes qui le fixaient encore de loin, et d’une jeune femme d’une beauté toute particulière qui semblait l’attendre un peu plus loin. Il n’était pas bien difficile de deviner ce qu’il venait de se passer.

Lorsque son regard se reposa sur son visage, il fut bientôt perturbé par... La zone générale de son torse. Un côté de sa chemise semblait donner la main à l’autre tout en étant tiré à des rives différentes dû à sa... Musculature impressionnante. Cela lui demandait toute sa concentration de ne pas fixer la chose bêtement — et pourtant elle l’apercevait encore, là, juste dans le bas de sa vision... Béatrice s’efforça plutôt de le regarder droit dans les yeux, avec tant d’insistance que cela trahissait immédiatement l’image qui tournait en boucle dans son esprit... Et le coin de son œil.

— C’est... Une chemise très inattendue.

Elle dit la chose sans le sarcasme qu’on attendrait d’elle, mais plutôt l’empathie véritable de ceux qui avaient l’habitude d’être la risée d’autrui.

— Je suppose que votre tenue n’a pas plu au personnel... Je sais d’expérience que les nobles et leurs employés peuvent se montrer tout à fait caustiques, ajouta-t-elle plus bas, sur le ton de la confidence.

Sa pauvre partenaire devait être mortifiée à l’idée d’entrer seule. Lui jetant un coup d’œil, elle considéra la chose et s’approcha à son tour des gardes à l’entrée pour qu’il juge de sa tenue. Elle en profita pour dire d’un ton désinvolte et charmant, songeant aux codes de ce genre d’événements :

— Vous ne laissez pas ce monsieur rentrer ? J’aurais cru qu’une duchesse connue pour ses excentricités serait friande de pareils divertissements.

Etait-ce vraiment un bal sans un ou deux scandales ? Dans le silence de son sourire confiant, la sorcière appuya son regard, son attention, ses certitudes, son pouvoir sur le plus austère des gardes — il semblait mener la danse après tout — pour qu’il partage la même indulgence qui teintait son humeur.