Le sourire tranquille d’Eve se meut lentement mais sûrement en une expression de surprise. Quel est donc l’échange auquel elle vient d’assister ? De toute évidence Andrei venait de mettre le doigt sur l’extrémité d’une pelote qui ne demandait qu’à être déroulée. Un léger hochement de tête en direction du Grand Cardinal qui déjà prend congé d’eux et la Petrova relève un air curieux sur son reflet, sourcil doucement arqué.

« Quel curieux mystère as-tu encore trouvé à élucider dans cette jolie tête blonde ? »

Il n’y a aucune animosité dans sa voix, pas lorsqu’elle le couve d’un regard si éternellement aimant. D’un mouvement, ses boucles blondes s’agitent tandis qu’elle secoue doucement la tête, se retenant d’appuyer sa tête contre son épaule. S’empêchant de force de ne pas tomber dans les bras de sa moitié.

« Je suis épuisée. »

Sa main au bras d’Adam n’a pas bougé, comme un ancrage à sa tranquillité. Comme on préserve ses sens contre ce qui toujours pourra nous protéger.

Comment réprimer un son d’amusement lorsqu’il pouvait ainsi se pâmer de faire fuir les couards ? Il est des jeux dont eux deux ne sauront jamais se lasser. Des regards qu’elle lancera à Andrei toute sa vie. Empli d’admiration et de contentement. Entière, enfin.

Tournant son regard vers la piste de danse, c’est d’un sourcil arqué qu’Eve rétorque très doucement.

« Un Marquis de Bourgogne. Il est un colonel sous mes ordres. »

Elle ne s’étale pas. Sait qu’il est des choses qu’il faut garder sous silence. Et que tous les silences du monde pour autant ne pourraient la protéger de la vérité qu’Andrei fera éclater au grand jour. Ce n’est pourtant pas ceci qui inquiète le Maréchal, non. Ses doigts se resserrent contre le bras de son adelphe alors qu’elle souffle à peine, de telle sorte que lui seul puisse l’entendre.

« Je n’avais pas non plus conscience qu’ils entretenaient de quelconques liens… Elle… Elle m’effraie. » Si rares sont les fois où elle avait admis sa peur face à d’autres qu’eux deux. Eve baisse le regard et rajoute, mimant de rajuster les grades brillant à son veston. « Elle cache quelque chose. Je crains qu’elle ne soit pas qu’une opportuniste. »

Il lui était impossible de ne pas se souvenir de ses multiples démonstrations d’insistance. De cette curiosité particulièrement prompte au malaise. Non, voir Gabriel au bras de cette femme ne lui évoquait que l’inquiétude certaine d’un passé se hâtant de les rattraper depuis les tréfonds d’une lointaine obscurité.

Si proche de quoi ? Ne pas pouvoir quoi ? Le marquis était frustrant à ne pas finir ses phrases. Hermance n’aurait certainement pas aimé entendre ce qu’il avait à dire. Elle n’aimait déjà pas qu’il lui dise de ne pas y penser. Cependant c’était bien trop fort pour elle. Elle devait détruire cette abomination, se venger. Et ce n’était pas cet homme qui pourrait la retenir.

— J’ignore à quoi vous pensez, Monsieur. Mais je ne le laisserai pas m’échapper ce soir.

En s’éloignant de la piste de danse, elle se dirigeait vers le buffet où se trouvaient les blondinets. Dire qu’elle aurait pu s’en prendre à l’un d’eux par erreur.
Auparavant elle aurait foncé sur le maréchal pour s’incruster à leur conversation. Mais à présent, elle l’ignorait sans s’en cacher. Hermance cherchait l’autre du regard. Comme un loup en pleine traque.

Elle se forçait à applaudir le discours de la reine qui n’était pas digne d’intérêt. Du moins pas dans l’immédiat. La duchesse de Navarre s’intéresserait sûrement au théâtre, un jour.

A la fin de la danse, c’est de manière tout à fait logique qu’il suit Hermance pour aller rallier, une fois de plus, le buffet. Duchesse qu’il observa un instant.

- Je ne vous dis pas le contraire. Je vous demande simplement de… chasser avec justesse. Il me chagrinerait d’apprendre qu’il vous ait arrivé malheur.

Un malheur comme celui d’une blessure ou d’une mort bien sûr, mais également de celle d’apprendre qu’une décision inconsidérée qui mettrait à mal sa simple existence par le fait de révéler ce qu’elle ne devrait pas.
Et en matière de décision stupide, il avait une certaine expérience dans le domaine.

- Ne vous méprenez pas, souffla-t-il, d’une voix plus basse, n’étant plus… protégé… par la bulle qu’offrait la piste de danse, je ne cherche pas à vous faire la leçon ou à vous retenir.

Non, chercher à interrompre cette recherche ou à la gêner de quelconque manière que ce soit… il n’en fit rien. Simplement un sourire un peu mélancolique, de celui qui comprenait que trop bien ce sentiment et le partageait, en un certain sens.

- J’espère juste pouvoir un jour partager une nouvelle danse avec la Duchesse de Navarre. Ou une autre discussion. Ce qui vous sied le plus.

Introuvable. Elle n’avait pourtant pas rêvé. Elle lui était même rentrée dedans ! Il lui semblait que les jardins étaient ouverts. Ce genre de bestioles aimaient les endroits sombres et froids… Les mots de Gabriel lui firent porter son regard sur lui. Lui demandait-il de faire appel à sa raison ? Le problème était bien là : elle en était incapable quand il était question de sa seule raison de vivre.

— Je crains de ne pouvoir vous faire aucune promesse.

Et il pouvait arrêter son petit numéro. Il feignait la sympathie à cause de leurs rangs respectifs. Elle en était persuadée. La suspicion, la meilleure défense. Et la meilleure manière de tenir n’importe qui à distance.

— Merci pour cette danse, conclut-elle sans plus de cérémonie.

Elle pouvait apprécier sa compagnie, mais pas maintenant. Hermance s’éclipsait pour les jardins.